Appel à contributions : Coopératives : la régulation comme cadre d’analyse prometteur ? pour le 1 er septembre 2021

La Revue de la Régulation prépare un numéro consacré aux coopératives

Appel à contributions

Les coopératives, et plus largement l’ESS (Économie sociale et solidaire), constituent un champ de pratiques qui est resté relativement en marge de l’analyse économique, malgré d’actifs espaces d’échanges académiques et extra-académiques. L’approche institutionnaliste elle-même peine à capitaliser les nombreux travaux empiriques qu’elle a inspirés (notamment Moullaert et al., 2013 ; Demoustier & Colletis, 2012 ; Richez-Battesti & Vallade, 2012 ; Petrella & Richez-Battesti, 2014 ; Pecqueur & Itçaina, 2012 ; Richez-Battesti & Defourny, 2017 ; Eynaud & Laville, 2018 ; Bodet & Lamarche, 2020) ou qui ont été produits dans d’autres disciplines (par exemple en sociologie critique : Simonet, 2018 ; Bory, 2008, 2019 ; Hély & Moulévrier, 2013). Elle ne parvient pas toujours à se situer par rapport aux discours normatifs investis sur les coopératives et sur l’ESS qui souffrent souvent d’un déficit de conceptualisation et restent ancrés dans des approches monographiques. Dans ce champ nourri de pratiques réflexives, l’articulation des concepts et approches institutionnalistes avec des travaux ancrés dans les pratiques reste encore à produire ; et cela tant pour la recherche, dans la perspective de monter en régime ou en généralité, que pour les pratiques, afin de renforcer le recul qu’apporte la recherche. Une première ambition de cet appel à articles est donc de combler ces différentes lacunes. Il s’agit ainsi de dépasser notamment l’échelle des seules monographies pour les inscrire dans un cadre théorique prenant en considération tout autant les contextes que la diversité des pratiques et des formes de coordination, sans réduire nécessairement l’approche aux stratégies d’acteurs.

Sans doute le relatif silence de l’institutionnalisme quant aux coopératives s’explique-t-il par son histoire récente : ses promoteurs ont dû se positionner face à l’analyse standard dominante à l’époque, sans historicité et axée sur la seule rationalité instrumentale, pour construire leur cadre d’analyse des crises et de la dynamique du capitalisme (Boltanski & Thévenot, 1987 ; Boyer & Saillard, 1995…). Sans doute aussi les pensées hétérodoxes ont-elles été portées par leurs agendas qui ne laissaient qu’une faible place à des pratiques relativement marginales ou peu saillantes dans les dynamiques d’ensemble ; un de leurs objectifs étant la caractérisation des dynamiques capitalistes.

Il importe donc de mieux saisir les dynamiques productives propres aux coopératives, au niveau des ancrages sectoriels ou territoriaux, des formes organisationnelles et de leurs effets sur le rapport salarial ou encore de l’articulation entre la nature de la propriété, le mode de gouvernance et les choix stratégiques de ces organisations démocratiques (ou participatives). En particulier, il s’agit de mieux caractériser le renouveau de formes et dispositifs de production. La variété des articulations entre production et consommation, les dispositifs de circulation des biens et services sont autant de spécificités susceptibles d’être portées par les coopératives. Il y a là des modèles socioéconomiques et sociopolitiques de l’entreprise qui peuvent éclairer et nourrir les transitions en cours ainsi qu’un imaginaire instituant (imaginaires qui structurent les démarches coopératives, qu’on les regarde en tant qu’utopie en acte, marge instituante ou innovation sociale). Les coopératives sont ainsi un objet heuristique particulier, plus travaillé dans la littérature que les autres structures de l’ESS, probablement parce qu’elles procèdent d’abord de l’activité économique/productive.

La diversité des pratiques au sein des coopératives représente un défi sur le plan théorique.
Au sein du mouvement coopératif, des configurations très différentes coexistent, allant de la marginalité à la domination sectorielle. Peut-on les saisir dans un même cadre d’analyse ?
Quels concepts et quels outils d’enquête permettent-ils d’en comprendre la structure commune – si elle existe – en même temps que les dynamiques de différenciations ? Et enfin, quoi de commun entre une coopérative soumise à la concurrence internationale comme Mondragon, une plateforme coopérative telle que CoopCycle, une SCIC ou une CAE ?

Pour appréhender cette diversité, certains développements de la théorie de la régulation, qui ont mis l’accent sur la variété des configurations territoriales et sectorielles (Laurent & Du Tertre, 2008), offrent une perspective intéressante. L’analyse en termes d’espaces méso permet de réfléchir à la régulation interne par laquelle se reproduit tel ou tel type de structure d’entreprises ou d’acteurs, tout en rendant compte du rapport dialectique de ces espaces avec la dynamique d’ensemble, l’accumulation et son mode de régulation. La problématique des espaces méso cherche donc à saisir les tensions liées aux dynamiques historiques, sociales, économiques ou écologiques au sein des dynamiques de l’accumulation (Lamarche et al., 2021). L’analyse méso permet ainsi de rendre compte des processus de différenciation qui s’appuient sur l’autonomie relative de ces différents espaces et sur l’action des acteurs.

L’appel est centré sur les sociétés à statut coopératif. Les contributions pourront aussi questionner d’autres formes statutaires de l’ESS ou témoignant de rapprochements avec elle. On sait bien que ce champ est marqué, par exemple, par l’expansion du social business, démarche propre à la période néolibérale. L’agenda de la recherche pourra aussi être nourri par un travail sur des formes alternatives d’organisation, tout en gardant un regard critique sur ce qui peut advenir en leurs noms.
Les propositions attendues pour ce numéro de la Revue de la régulation peuvent prendre pour objet :

l’exploration de la variété des formes que le système coopératif (ou autres structures de l’ESS) a prises dans l’histoire et qu’il prend aujourd’hui dans le monde, en liant les variétés étudiées (formes d’organisation) aux contextes institutionnels et politiques de leur développement, pour en proposer une analyse. La Revue est intéressée par l’analyse régulationniste, toutefois cette approche n’est pas limitative d’autres démarches institutionnalistes en économie sociale ni d’autres méthodes d’analyse en sciences sociales ;
l’analyse des modes de relations entre monde coopératif, monde des sociétés de capitaux classiques, monde associatif ; cela pour dégager la spécificité de tel ou tel de ces mondes, pour étudier la circulation des dirigeants/cadres, la mobilité professionnelle et sociale dans et autour de ce microcosme ;
l’analyse des articulations entre problématique méso et approches institutionnalistes, en prenant appui sur des logiques sectorielles ou territoriales. Il pourra s’agir, par exemple, de voir comment des acteurs et des organisations développent des compromis localisés (autour d’un secteur, d’un territoire, d’une profession ou d’une forme organisationnelle). L’analyse pourra s’attacher à comprendre comment s’opère (même de façon inaboutie) une différenciation par rapport au régime dominant ou s’intéresser à l’articulation de cet espace méso avec la régulation d’ensemble ;

le champ coopératif et d’économie sociale dans différentes aires, notamment en France et en Europe, et mobiliser une épistémologie des Sud afin de saisir la diversité des mobilisations collectives au Sud ;
le coopérativisme agricole qui, dans nombre de cas, s’est éloigné de son idéal d’origine, mais a su se renouveler via des enjeux alimentaires, agroécologiques et de proximité, notamment.

Soumettre une proposition d’article

Les propositions de résumés doivent être  adressées à Thomas.lamarche@u-paris.fr et nadine.richez-battesti@univ-amu.fr : 2 à 4 pages (6 000 à 12 000 signes, espaces compris), en prenant soin de bien préciser la question posée, son mode de traitement ainsi que les matériaux et/ou champ conceptuel investis.
Remise des résumés (6 000 à 12 000 signes, espaces compris) : 1er septembre 2021
Retour aux auteurs : 1er novembre 2021
Envoi des articles sélectionnés : 28 février 2022